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Dites Docteur, cette pénurie de médicaments, c’est grave ?

Prescription enfant

Table des matières

Les effets de la globalisation et mondialisation sont arrivés dans les systèmes de santé en Suisse et en Europe… De plus en plus de médicaments manquent dans les pharmacies. Mais institutions et laboratoires pharmaceutiques travaillent ensemble pour y remédier…

Depuis quelques années, il est de plus en plus fréquent que des médicaments manquent dans nos pharmacies. La dernière épidémie de Covid a perturbé encore un peu plus les chaînes de production chinoises de molécules, bases indispensables de la plupart des médicaments vendus par nos pharmacies.

Sans aucun doute, c’est un sujet qui restera longtemps souligné en rouge, tout en haut des agendas des autorités et du secteur de la santé. Cet effet induit par la globalisation et la mondialisation de la production “offshore” va demander du temps, beaucoup de temps, pour être résolu. Après avoir impacté l’emploi des pays développés, cette globalisation affecte maintenant l’efficacité des systèmes de santé en Suisse et en Europe.
Nous abordons ici les faits, les causes et les premiers remèdes envisagés.

La pénurie de médicaments

Il y a encore peu d’années, la rupture d’approvisionnement d’un médicament était à la fois marginale et de courte durée. Elle était tout de même définie en France comme étant supérieure à 72 heures, ce qui n’est pas négligeable pour un malade. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, cette pénurie est beaucoup plus fréquente. Vous y avez peut-être été déjà confronté vous-même, sinon vous le serez probablement bientôt.

Cette pénurie concerne aussi la Suisse. Pour Nicole Wagner, pharmacienne cantonale jurassienne: “plus de 170 ruptures de stocks ont été recensées en 2017 et 2018”. Même constat pour Enea Martinelli, pharmacien-chef du groupement des 3 hôpitaux FMI, qui annonce au début de l’automne 2019, qu’il y aurait actuellement 588 médicaments en rupture d’approvisionnement en Suisse.

Cette pénurie touche aussi d’autres pays européens. Voici aussi ce que Jean-Paul Vernant, cancérologue et hématologue exerçant à l’hôpital de La Pitié à Paris, a écrit très récemment dans une tribune : “Très rares il y a une dizaine d’années, les pénuries de médicaments se multiplient”. L’Agence Nationale du Médicament (ANSM) française signale plus de 850 ruptures en 2018, soit 20 fois les chiffres de 2008 (44 signalements).

Des médicaments importants manquent

En Europe, cette pénurie concerne aussi les médicaments à fort pouvoir thérapeutique. Les exemples de cet incroyable problème de santé publique se multiplient ! Il ne s’agit pas de ne plus soulager une simple migraine avec du paracétamol, mais bien du manque de produits nécessaires à la bonne santé, voire la survie de nombreux patients. Ces fameux MITM “Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur” sont les médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement est critique pour le patient:

  • elle est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme.
  • elle représente une perte de chance importante pour les patients au regard du potentiel évolutif de la maladie.
  • il n’existe pas d’alternatives thérapeutiques appropriées et disponibles en quantité suffisante sur le territoire national.

 

Les malades ont ainsi subi de multiples pénuries de médicaments du cancer, des antibiotiques, des corticoïdes, des vaccins, des traitements de l’hypertension, des maladies cardiaques, du système nerveux… Quelques cas d’interventions chirurgicales différées ou annulées pour cause de rupture de produits, ont aussi été signalées.

Pour l’instant cela ne s’arrange pas vraiment !

 

Les effets de la globalisation

Vous pensez que nos médicaments sortent d’usines situées dans un de nos cantons verdoyants, ou bien quelque part en Occident ? Que nenni, et c’est surtout la fabrication des principes actifs qui est depuis longtemps délocalisée et regroupée dans quelques usines de sous-traitance, principalement en Chine, en Inde, au Brésil. Ce n’est pas assez rentable, le prix de vente de “vieux” médicaments dont les brevets sont caducs, est trop bas pour continuer à intéresser les grands labos. Il faut savoir que 80% des médicaments actuels sont passés dans le domaine public après 20 ans de production sous brevet. Souvent une concurrence locale s’installe, qui concentre encore un peu plus les moyens de fabrication, et le faible prix de vente décourage de nouveaux arrivants.

On connaissait déjà la Chine comme “l’usine du monde”, la voilà devenue aussi “la pharmacie du monde” !

Des pénuries amplifiées par le Brexit et le Covid ?

Le Brexit pourrait ne pas simplifier les problèmes d’approvisionnement de nos amis Britanniques mais sans grand effet en Europe. Les changements des accords sur les importations peuvent en effet impacter les flux de médicaments.

Comme on peut estimer aujourd’hui qu’environ 80% des molécules de base ou des principes actifs sont fabriqués en Chine, et que l’on a pu voir l’impact de l’épidémie de COVID-19 sur les fabrications de médicaments, la déstabilisation de la production mondiale devrait rendre des relocalisations inévitables.

L’effet domino des chaînes de production mondiales

Un problème technique ou de qualité de fabrication d’une molécule de base au début de la chaîne de production, peut provoquer une tension voire une pénurie qui est parfois mondiale. Si une ligne de production unique s’interrompt, il faut du temps pour qu’un produit de substitution soit rangé dans le tiroir de votre pharmacien. Markus Krumme responsable de production chez Novartis estime que l’effet domino peut créer un an de délai.

Les laboratoires pharmaceutiques qui réalisent la fabrication finale et le conditionnement sont les seuls à être toujours situés en Europe ou aux USA. Ils réalisent le dosage, le conditionnement en comprimés, gélules, poudres ou ampoules, la mise en boîte, puis l’envoi aux distributeurs grossistes. La fabrication peut être fragmentée entre 5 ou 6 intervenants, jusqu’à la mise en boîte du produit final. Évidement le moindre grain de sable dans le processus amplifie les retards jusqu’au bout de la chaîne.

Un prix de vente élevé réduit le manque de médicaments

Les particularités des marchés locaux et les différences de prix de vente contribuent aussi à ce que la répartition des médicaments soit très disparate selon les pays. Il est facile de deviner que sont approvisionnés en priorité les pays où les marges sont les plus confortables. Les USA par exemple, sont les champions du monde incontestés du médicament cher. A titre anecdotique le Viagra y est 8 fois plus coûteux que la moyenne de 50 pays observés. Plus grave, le prix de l’insuline est aussi 5 fois plus élevé que cette moyenne. D’ailleurs, le Canada voisin avait songé à prendre des mesures pour limiter la vente de certains médicaments aux citoyens US. Leurs pharmacies auraient pu être dévalisées si l’administration Trump avait autorisé l’achat à l’étranger (avec ordonnance) comme elle y a songé, pour détendre son marché local.

La France, où les prix de vente sont relativement encadrés, n’est certainement pas prioritaire en cas de tension sur l’approvisionnement d’un médicament. Précisons aussi qu’il est rare que les traitements très coûteux qui génèrent de grandes marges, viennent à manquer.

La Suisse, avec ses prix de médicaments élevés est moins touchée par l’arbitrage des fabricants qui défavorise les pays aux prix bas.

En Suisse, ce sont alors les caisses d’assurance maladie qui répercutent ces prix élevées sur les primes d’assurance maladie payées par les assurés0

Les institutions vs les big pharma

Les remèdes et les mesures opérationnelles

La solution semble passer par la constitution d’un stock tampon de médicaments de plusieurs mois. La chaîne d’approvisionnement ne serait plus en flux tendu comme une usine d’automobiles ou de lave-linge.

Une autre piste souvent évoquée est aussi d’obliger les laboratoires à rapatrier en Europe la fabrication des principes actifs, dont le coût souvent négligeable n’impacte quasiment pas le prix final.

Les américains l’ont réalisé avec l’association d’hôpitaux Civica RX, pour garantir un approvisionnement plus fiable. Cela leur a permis de conclure un contrat avec Xelia, laboratoire Danois, spécialisé dans la production d‘antibiotiques dans une usine dorénavant européenne de dimension très réduite mais extrêmement efficace.

Il y a 3 ans, Novartis a aussi construit à Bâle un nouveau centre de fabrication de médicaments en continu, plutôt que d’organiser une fabrication par lot comme cela se pratique habituellement.

Les mesures institutionnelles

Une agence européenne est envisagée pour superviser la réglementation et la surveillance de l’approvisionnement en médicament dans la Communauté. Certains songent aussi à la création d’une agence pharmaceutique qui prendrait en charge à l’échelon européen la fabrication des génériques, garantissant ainsi l’approvisionnement, la qualité et le juste prix des médicaments tombés dans le domaine public. Cette mesure ne s’appliquera pas à la Suisse, il n’y a pas de baisse du prix des médicaments génériques suisses en vue.

Confier à l’OMS ces mêmes taches de contrôle au niveau mondial risque de se heurter à l’opposition des USA, mais la prise de conscience d’un besoin de supervision semble faire son chemin.

Des médecins considèrent que la solution passe inévitablement par l’instauration d’un cadre contraignant pour les laboratoires. Pour l’instant en France, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), n’a pu imposer aux laboratoires qu’un Plan de Gestion des Pénuries (PGP) sans grande efficacité à ce jour puisqu’il ne vise qu’à gérer la pénurie et non pas à la prévenir.

Le contournement des laboratoires

Un secteur difficile à faire bouger

Lutter contre le lobbying des laboratoires pharmaceutiques est difficile. Ceux que les anglo-saxons nomment les « big pharma » ne sont guère plus d’une douzaine aujourd’hui, contre une bonne cinquantaine il y a une encore peu d’années. On parle aussi d’ententes illicites pour se partager des marchés ou fixer le prix des médicaments.

Par exemple, il a beaucoup été question récemment de la fixation du prix du Sovaldi, un traitement contre l’hépatite C dont le coût de fabrication est estimé à moins de 150€. Six mois de traitement sont facturés : 80’000€ aux USA, 41’000€ en France, et 800€ en Egypte.

Songez que la douzaine des plus gros laboratoires mondiaux réalise un chiffre d’affaire de l’ordre de 400 milliards d’euros (425’000’000 de francs suisses). Leur part de Recherche et Développement (R&D) est de moins de 15% de cette somme. La part des dividendes versée aux actionnaires approche les 20% et les dépenses marketing environ 25%… Pour faire court, les budgets de recherche sont en constante diminution depuis des années. Cela interroge sur la justification d’une telle différence entre le coût de fabrication et le prix de vente.

Des contournements rodés

Une nouvelle pratique se développe par les laboratoires. Elle s’appelle le “Me Too “. Cette légère modification de la formule chimique d’un produit permet de concurrencer un médicament générique. Le nouvel arrivant n’apporte souvent rien de plus, sauf que le marketing est là pour convaincre les médecins de prescrire le petit nouveau, paré des toutes les vertus. On l’a vu récemment aux USA: le Glivec en passe de devenir générique, et de baisser de 90’000 $ à 25’000 $ annuellement, est actuellement souvent remplacé par le Tasigna facturé 100’000 $ annuellement. Les ventes de ce dernier ont augmenté de 300% en quelques mois.

Quand les élus se mêlent du prix des médicaments

En Suisse, notre précédent article faisait état des démarches à Berne contre les médicaments jugés trop chers après la vague de contrôle de prix de 2017. L’optimisation du secteur de la santé est à l’ordre du jour en Suisse. Les assureurs maladie, les médecins, les hôpitaux sont impliqués par les autorités fédérales et cantonales. Les laboratoires pharmaceutiques devront aussi prendre leur part bien qu’ils soient de grands employeurs et de grands exportateurs Suisses. Le compromis entre l’approvisionnement fluide et une certaine retenue des prix ne seront pas faciles à trouver, en effet :  plus les prix des médicaments dans un pays sont bas, plus il y a risque de pénurie !

Il y a quelques années, en France, François Hollande annonçait son intention de mettre le problème à l’ordre du jour d’un G20 et d’un G7, on attend toujours la moindre avancée. En 2019, Carine Wolf-Thal, présidente de l’ordre des pharmaciens en France, enfonce le clou: “Le médicament n’est pas un bien de consommation comme les autres, il ne peut être soumis aux mêmes règles de business”

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