En quoi consiste la proposition de 2020 sur le prix des médicaments génériques par le Conseil Fédéral ?
Comment aurait-elle permis de baisser les coûts de la santé pour la Confédération et pour le consommateur ?
Comment expliquer son rejet par les parlementaires ? Quelles alternatives ?
Prix des génériques : Conseil Fédéral contre Conseil National
Le Conseil National a refusé, le 29 octobre 2020, à 114 voix contre 65, le projet du Conseil fédéral en matière de santé. Ce projet avec l’objectif d’intervenir sur le prix des médicaments génériques était sur la table depuis août 2019. Il s’inscrit dans le deuxième paquet d’une série de 38 propositions pour contribuer à la baisse des coûts de la santé.
Celui-ci n’avait pas emballé les membres de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil national. Après des débats houleux, ils avaient rejeté le projet par 16 voix contre 8 et 1 abstention.
Quel prix de référence pour les médicaments génériques ?
Le médicament générique est une copie proche d’un médicament original dont le brevet a expiré. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) souhaite classer les médicaments génériques qui contiennent la même substance active ou une combinaison de substances similaires dans une même catégorie. Chaque principe actif aurait un même prix de référence.
Ce prix de référence serait basé sur les médicaments génériques les moins chers. Il serait réévalué à intervalles réguliers. Les laboratoires seraient contraints de s’y aligner. Les caisses d’assurance limiteraient leur remboursement au prix de référence.
Un patient qui opte pour un médicament plus cher aura à sa charge la différence entre le prix de référence et le prix du produit. Il est donc toujours libre de choisir son médicament. Ce qui change avec cette proposition de loi, c’est la réponse à la question « Qui paie, et combien ? », indique un rapport du Département fédéral de l’économie de mai 2018.
Ce système est appliqué avec des différences notables dans plus d’une vingtaine de pays européens dont la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark et la Finlande. En Suisse, l’économie estimée de la mesure aurait pu avoisiner 300 millions de francs par an pour l’assurance maladie LAMal.
Génériques en Suisse: consommation limitée et chère
Ainsi, le consommateur continuera de payer ses médicaments à des prix élevés, voire
« exagérés » selon des représentants d’assurances.
En effet, les médicaments génériques coûtent en moyenne deux fois plus chers en Suisse en comparaison avec d’autres pays. Ils représentent seulement 23% du marché en Suisse, contre 80% en Allemagne et 36% en France.
Prenons l’exemple d’un médicament fréquemment prescrit pour traiter les problèmes gastriques. En Suisse, un paquet de 105 comprimés coûte 56,80 francs, tandis qu’aux Pays-Bas, le même paquet coûte seulement 3,25 francs.
La réforme s’attaque à ces problèmes.
Situation en Suisse: expliquer le prix élevé des médicaments
Pourquoi les prix des génériques sont-ils si élevés en Suisse ? L’explication vient de la règle dite de «l’écart des prix» minimal par rapport au médicament original avec le même principe actif. Afin de limiter la guerre des prix, les fabricants interprètent l’écart de prix comme une recommandation de prix implicite. Le prix du générique ne descend donc pas en-dessous de ce plancher.
Pourquoi la part de marché des génériques est-elle si faible ? Les consommateurs ne sont pas assez incités à choisir des médicaments à meilleur prix car l’assurance maladie obligatoire LAMal rembourse tous ceux qui figurent sur la liste des spécialités (LS). Cela, même si l’achat de produits moins onéreux est possible.
Or, la cherté des médicaments en Suisse met nos systèmes de protection sociale sous pression. Les entreprises pharmaceutiques (les “pharmas”) le justifient par un coût élevé en Recherche & Développement (R&D). Cet argument ne tient pas lorsque l’on traite des médicaments génériques, puisque les molécules sont passées dans le domaine public.
Poids de l’industrie pharmaceutique en Suisse
L’industrie pharmaceutique occupe une part importante dans l’économie suisse, avec 40% de la valeur des exportations du pays. Elle emploie environ 40’000 personnes en Suisse, 180’000 avec les emplois indirects.
Cela explique la difficulté pour les représentants politiques à aller à l’encontre des intérêts de ce puissant secteur qui sait se faire entendre. Les comparatifs ont beau illustrer que les médicaments sont trop chers en Suisse, la pilule générique ne passe pas
Le lobby de l’industrie pharmaceutique Interpharma s’oppose à un système qui tire des prix vers le bas.
Bien qu’en avançant des arguments différents, le parti Socialiste, l’Union Démocratique du Centre (UDC), le Parti Libéral Radical (PLR) et les Verts ont balayé la réforme portée par le ministre de la santé Alain Berset.
Prix de référence, craintes multiples
Le PLR craint qu’un importateur, non satisfait du prix appliqué dans le pays, réduise son approvisionnement. Cet argument est particulièrement pertinent alors que des pénuries de médicaments se sont multipliés depuis 2019. Les fournisseurs de prestations, les hôpitaux et les médecins font également savoir leur inquiétude à ce sujet. Ils craignent aussi que ce système ne restreigne la liberté de choix du médicament par le patient. Un choix que le gouvernement affirme pourtant être garanti.
Pour Interpharma, les patients bénéficieraient moins rapidement des progrès thérapeutiques. Potentiellement confrontés à des difficultés à suivre leur traitement, les patients pourraient voir leur santé se détériorer. Le lobby s’oppose aussi à une généralisation du recours aux génériques.
Des membres du parti Les Verts s’inquiètent que les patients atteints de maladies chroniques ne soient déstabilisés dans leur traitement par une fluctuation du prix de référence.
Un autre argument est également formulé par les opposants au projet. Pousser une personne à consommer un médicament similaire qu’elle n’a pas l’habitude de prendre peut avoir des conséquences néfastes sur sa santé. Des excipients présents dans les médicaments génériques ou d’origine peuvent causer des d’allergies ou des phénomènes d’intolérance. Chez certains patients, l’utilisation des produits génériques peut entraîner des échecs thérapeutiques et des effets secondaires, absents lors de la prise du produit original. Ces problèmes peuvent engendrer des coûts supplémentaires.
Projet prix de référence à la trappe ?
Au tour du Conseil des Etats de se positionner sur la question. Cependant, dans la mesure où les deux chambres parlementaires doivent se mettre d’accord pour adopter une loi, le projet du gouvernement semble fortement compromis.
Alternatives moins ambitieuses sur les coûts de santé
À défaut de suivre l’idée du gouvernement, les élus ont voté une motion pour augmenter la part relative des génériques dans le marché. Celle-ci est actuellement faible en Suisse. La motion oblige le Conseil fédéral de prendre une mesure ou de soumettre un projet d’acte de l’Assemblée fédérale. Le changement n’est donc pas pour demain.
L’importation parallèle de médicaments sera autorisée. L’objectif est de faire tendre le prix des médicaments à la baisse. A titre d’exemple, aux Pays-Bas, la place prépondérante des génériques sur le marché permet de garantir des prix de médicaments particulièrement faibles.
Génériques : les pharmaciens en première ligne
Un autre point d’accord a été trouvé: inciter les pharmaciens à vendre les médicaments les moins chers. Lorsque plusieurs produits ont la même composition que ceux de l’ordonnance, les pharmaciens seront autorisés à vendre le moins cher. A condition bien sûr qu’il réponde aux besoins du patient.
La gauche voulait les y obliger. Un patient souhaitant un produit plus onéreux aurait dû disposer d’une dérogation du médecin. A défaut, il aurait dû payer la différence.
Une telle obligation peut poser des problèmes pour les patients. En effet, un même principe actif ne veut pas dire même médicament. Un autre excipient peut faire toute la différence. Cette proposition de la gauche n’a pas été acceptée.
Les élus ont également adopté une motion à la quasi-unanimité pour que les prestations des pharmaciens soient reconnues et remboursées par l’assurance maladie. Ces prestations de proximité ont pour objectif d’améliorer la pertinence des soins et donc de faire des économies globales.
La longue marche des génériques en Suisse
La longue marche des génériques en Suisse passe et repasse à Berne. Elle est parsemée d’embûches. Pour faire baisser le prix des génériques en Suisse, c’est une autre approche de celle proposée par gouvernement qui a été privilégiée. Moins ambitieuse en matière d’économies, elle favorisera néanmoins l’utilisation des médicaments génériques en Suisse.
A quand une démarche ambitieuse et innovante comme celle qui a contribué à l’essor du Medtech en Suisse ?