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Les GAFAM pour sauver nos systèmes de santé ?

Table des matières

La santé est le nouveau secteur que les grandes entreprises du numérique rêvent de conquérir. Avec leur puissance de calcul phénoménale, leurs gigantesques bases de données et leurs modèles sophistiqués en machine learning, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ont un avantage compétitif sur les centres de recherche traditionnels et les hôpitaux.

Vers où vont-elles amener les systèmes de santé ? Quels risques, quelles opportunités pour les particuliers et pour la Suisse ?

Les systèmes de santé à bout de souffle

Dans les démocraties occidentales, le vieillissement de la population ébranle des systèmes de santé à bout de souffle. Les récentes manifestations du personnel médical au Royaume-Uni et en France, l’augmentation continue des primes d’assurance-maladie en Suisse en sont des symptômes évidents.

Les systèmes de santé publique demandent de l’aide et les géants du numérique accourent. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que, par exemple, le marché de la santé américain est estimé à 3’700 milliards de dollars. L’espérance de gains considérables pousse les entreprises privées à investir massivement dans le domaine de la santé. On considère qu’à présent, ⅓ des investissements de Google se font dans le secteur de la santé.

Cependant, l’arrivée des géants du numérique modifient en profondeur l’écosystème médical.

Que font les GAFAMs dans le domaine de la santé ?

Les géants de la Silicon Valley semblent s’être passé le mot : “le secteur de la santé est le nouvel eldorado”.

On se rappelle de Calico, la filiale biotechnologique de Google qui annonçait vouloir “tuer la mort” en 2013. Au-delà de ces annonces grandiloquentes qui servent principalement à motiver les investisseurs, on constate un intérêt solide et durable des entreprises digitales pour le secteur de la santé.

Les points d’entrée de ces stratégies de conquête du domaine médical sont multiples. Pour faire simple, on peut regrouper les offres dans trois catégories : le “hardware”, le “software” et la logistique.

Appareil médicaux (Hardware)

L’univers des objets connectés est une manne pour les géants numériques qui s’intéressent à la santé. Les montres connectées et les bracelets trackers se sont multipliés ces dernières années. Elles font même concurrence avec les montres de milieu de gamme de l’horlogerie Suisse qui se battent maintenant aussi sur ce créneau.

Les emblématiques bracelets connectés Fitbit ont été rachetés par Google pour 2 milliards de dollars. Ces montres connectées viennent concurrencer les célèbres Apple Watch. En retour, ces appareils vont générer des flux de données sur les habitudes de santé des utilisateurs. Ces données viennent alimenter les immenses réserves de données des data center américains.

Les assureurs intègrent ces produits dans leurs modèles d’assurance. À titre d’exemple, Swica, caisse maladie suisse très avancée dans le digital propose son programme Benevita qui fonctionne sur Apple Watch, Fitbit ou encore Samsung Watch. Ce programme vient en continuité avec l’offre de télémédecine “à la maison” destinée aux familles : le kit TytoHome.

Swica et Helvicare

Service Cloud et traitement de données (Software)

Les géants californiens mettent également à disposition leurs bases de données et leurs algorithmes de machine learning.

Par exemple, le service cloud d’Amazon AWS a lancé sa plateforme HealthLake dédiée aux organismes de santé aux États-Unis. L’entreprise se définit de la manière suivante :

Amazon HealthLake est un service […] qui offre aux entreprises du secteur des soins de santé et des sciences de la vie une vue chronologique des données de santé d’un individu ou d’une population de patients pour des requêtes [et des analyses] à grande échelle.

 
Dans ces domaines, les résultats sont spectaculaires. Amazon n’est pas sans concurrence. Le service DeepMind de Google aurait un meilleur taux de réussite dans la détection des maladies oculaires que les meilleurs ophtalmologues.

Dans le même registre, l’IA Watson d’IBM serait plus efficace que les meilleurs radiologues dans la détection des cancers. En Suisse, l’hôpital de Nyon fait figure de pionnier. Il loue les services de Watson et détecte mieux les cancers.

En France, Sanofi, le plus grand laboratoire pharmaceutique français, a entamé une collaboration avec Google dans la création d’un laboratoire d’innovation en santé.

Livraison de médicament (Logistique)

En plus des appareils connectés et des services numériques, les géants numériques viennent également bouleverser le marché de la distribution des médicaments.

Depuis 2020, le groupe Amazon propose un service de livraison de médicament : Amazon Pharmacy. Réservé aux abonnées Premium, Amazon est capable de livrer en 2 jours seulement les médicaments chez ces abonnés. Pour l’instant le service n’est disponible qu’aux États-Unis.

Une nouvelle limite vient d’être franchie par l’entreprise de Jeff Bezos. Elle peut à présent distribuer des médicaments sur ordonnance. Le nouveau service RxPass permet, pour 5 dollars supplémentaires par mois, de livrer de manière illimitée des médicaments génériques sur ordonnance, sans autre frais supplémentaire. Là encore, ce service est réservé aux abonnés Prime de la plateforme.

Le géant veut aller encore plus loin en ouvrant ses propres pharmacies aux États-Unis.

Géants numériques – de nouveaux partenaires santé ?

Les appareils “hardware” (montres connectées) et le “deep learning” pour la détection améliorent la prévention. Comme nous l’avions relevé dans notre article “Apps santé et systèmes de bonus”, les assureurs ont engagé une dynamique similaire. Ces prochaines années, les partenariats entre administrations publiques, entreprises du numérique, assureurs et hôpitaux devraient se multiplier.

De nombreuses initiatives ont d’ailleurs déjà été prises en ce sens. On peut citer le partenariat entre Google et la Mayo clinique présente aux USA, à Londres et aux Emirats Arabes Unis. D’un côté, Google vient apporter son infrastructure informatique et ses modèles d’analyse de données au service de l’institution médicale. De l’autre, la fédération hospitalo-universitaire, classée meilleur hôpital US par l’US news et World Report, fournit de gigantesque flux de données anonymisées à Google.

Ces données sont la matière première indispensable pour entraîner les moteurs d’intelligence artificielle. Amazon déploie une stratégie similaire lorsqu’il rachète le réseau de soin One Medical pour 3.9 milliards de dollars.

De la médecine curative à la médecine préventive personnalisée

En Suisse, ce type de partenariat pourrait bien arriver. La montée en puissance des entreprises privées dans les écosystèmes santé semble pleine d’avenir. Nous avions évoqué l’arrivée d’une caisse d’assurance dans la gouvernance de l’hôpital du Jura Bernois.

Ce nouveau modèle appuie sa stratégie sur sa capacité à prévenir efficacement les maladies. Dans la course à l’amélioration des résultats cliniques et à la maîtrise des coûts, il ne serait pas étonnant de voir de nouvelles collaborations avec les géants numériques.

Notons toutefois que la question de la transmission des données médicales est un sujet sensible. En mars 2021, le peuple suisse refuse l’initiative pour une identité électronique, prémisse indispensable à circulation efficace des données médicales. En cause : le rôle jugé excessif du secteur privé dans la gestion de l’e-ID. De même, en Suisse, le dossier médical électronique reste farouchement combattu au nom de la protection de la sphère privée.

La prévention, objectif commun

On constate une tendance à se focaliser sur la prévention. C’est l’objectif commun de la Confédération, des cantons et de leurs administrations. C’est aussi l’objectif caisses d’assurance maladie et des acteurs de l’offre digitale.

Pour les assureurs, la maîtrise des coûts LAMal permet de limiter la hausse des primes. Des primes LAMal maîtrisées préserveraient une part du budget “santé” des particuliers. Ils pourraient alors s’affilier à une assurance complémentaire. En effet, les assurances complémentaires sont les sources de profits des caisses maladie. De plus, les hausses de primes leur font une très mauvaise publicité alors qu’elles ne sont que le dernier maillon de la longue chaîne de responsabilité.

La prévention permet aux entreprises digitales d’entraîner leurs moteurs d’intelligence Artificielle (IA) sur une activité moins risquée que l’activité thérapeutique. En effet, rater l’identification d’une probable survenance d’une pathologie ne met pas en risque de procès. Si une entreprise technologique prescrit une thérapie inopérante, elle risque d’être trainée aux tribunaux.

Alors que la prévention est une piste pleine de potentiel pour réduire les coûts, Un nouvelle source de dépense apparaît : le bien-être…

Le bien-être, source de nouvelles dépenses

Les systèmes de santé ont des difficultés à financer une médecine qui “répare ce qui ne fonctionne plus”. La prévention est maintenant jugée insuffisante par ceux qui considèrent la médecine comme l’art d’améliorer ce qui fonctionne pour diminuer les risques qu’un problème ne survienne. Ce changement de rôle dans la médecine occidentale ne date pas d’aujourd’hui. On peut déjà le constater dans la définition du “soin” donnée par l’OMS.

L’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »

 

Si “guérir une maladie” est une tâche finie, atteindre un “état de complet bien-être physique, mental et social” est une quête infinie
. Cette nouvelle conception de la médecine impose des dépenses supplémentaires. Elle ouvre aussi une porte d’entrée à des technologies qui sont taboues dans nos sociétés.

La santé – cheval de Troie des technologies sensibles ?

Le produit médical est le parfait cheval de Troie des technologies les plus intrusives. Les entreprises du secteur de l’innovation médicale sont lancées dans une compétition effrénée, elles ont levé des fonds très importants et doivent au plus vite atteindre la taille critique qui leur permettra de se pérenniser. Il leur est difficile de respecter le temps de l’acceptation démocratique sur les technologies qu’elles développent.

À titre d’exemple, la technologie neuralink a été présentée en fin d’année. Il s’agit d’implants cérébraux qui permettent de communiquer avec les ordinateurs par la pensée. Pour présenter son innovation et encourager les investissements, Elon Musk a insisté sur deux objectifs : guérir la cécité et faire remarcher les personnes paralysées. Au delà des formidables progrès en la matière, se pose la question d’une dérive transhumaniste potentielle.

La porte d’entrée au transhumanisme

Bien entendu, ces questionnements dépassent l’Occident. En Chine, le généticien He Jiankui a réalisé la première modification génétique sur embryon humain afin d’assurer au nouveau né une résistance innée au VIH. Là encore, de nombreuses critiques ont alerté sur le risque d’un retour de l’eugénisme. Des “bébés à la carte” où les parents peuvent choisir les caractéristiques de leur enfant.

En plus d’une formidable opportunité économique, il se pourrait que l’idéologie transhumaniste assumée des géants californiens voit le secteur de la santé comme une formidable porte d’entrée dans l’univers sensible des biotechnologies.

Éthique européenne

Entre les GAFAM américains et les BATX chinois, l’Europe tarde à engendrer ses propres géants numériques. Elle constate qu’un train raté ne se rattrape pas. Alors que la course folle à l’innovation se poursuit, le vieux continent se concentre sur la production normative afin de réguler les acteurs étrangers et imposer ses valeurs.

Cette stratégie fonctionne tant que le marché européen reste très attractif. Cependant, avec un pouvoir d’achat en baisse et une classe moyenne asiatique en plein développement, il se pourrait bien que cette stratégie ne soit pas la bonne.

Les discussions autour de l’éthique des acteurs privés deviennent vite caduques lorsqu’il s’agit de guérir la maladie d’un proche ou de réduire massivement les coûts d’un médicament vital.

Pragmatisme suisse

Une chose est certaine, les intelligences artificielles seront au cœur du paysage médical de demain. Bien que la Suisse ne soit pas en première ligne dans le secteur de l’intelligence artificielle, elle a un poids significatif dans l’industrie pharmaceutique, les biotechs et les medtechs.

La Suisse est aussi excellente pour trouver des consensus politiques et économiques qui combinent éthique, principes et pragmatisme. Cela devrait permettre d’ajuster les technologies critiques au bénéfice de notre système de santé et de la diffusion du savoir-faire Suisse dans le monde.

Avec la diffusion de l’innovation Suisse ce sont aussi les valeurs helvètes à l’origine des processus d’innovation qui s’affichent.

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